Le choix de la licence libre
En début 2023, nous avons annoncé la libération de la collection Ludomire. Nous allons parler à présent du choix de la licence qui m’a demandé beaucoup de réflexion. Il faut dire que cette décision implique beaucoup de choses pour un éditeur, bien plus qu’un blogueur qui partage son article.
Les spécificités et contraintes d’un éditeur
Bien que PVH éditions défende des valeurs, nous avons malgré tout des contraintes économiques et administratives qu’il faut satisfaire. Nous dirions donc que notre choix final est autant le fruit d’un certain pragmatisme que de notre volonté de développer la littérature libre.
L’une des principales spécificités d’un éditeur par rapport à l’auteur original, c’est qu’il n’est justement pas l’auteur. La paternité et le droit moral appartiennent à l’auteur. Cela signifie également que l’éditeur doit signer un contrat avec l’auteur. Dans notre cas, ça signifie que l’on doit expliquer et convaincre les auteurs de notre choix de licence.
De plus, au niveau commercial, le rôle d’éditeur ne se limite pas à produire des copies de l’œuvre et de les vendre. L’éditeur est également responsable de la promotion de l’œuvre et de son exploitation, une sorte d’agent artistique. Nous devons en quelque sorte «veiller aux intérêts de l’œuvre» pour qu’elle trouve son public et passe à la postérité. Cela touche aux droits secondaires : adaptation, traduction, suite, etc.
La licence Creative Commons BY
Les licences qui se rapprochent du domaine public (CC0 ou WTFPL) sont tout de suite à exclure car elles ne sont pas vraiment adaptées pour les lois suisses et françaises du droit d’auteur. La licence CC BYest donc la plus permissive que l’on puisse réellement choisir.
Mais, je ne pense pas qu’elle puisse être adaptée pour un éditeur d’œuvres artistiques. En laissant la possibilité d’une adaptation propriétaire, elle rend possible une utilisation parasite de l’œuvre libre du point de vue d’un éditeur. Quel intérêt aurait PVH éditions à promouvoir de telles œuvres dans un salon de la traduction ou de l’adaptation télévisuelle ? Un éditeur étranger pourrait se passer de notre concours et nous n’aurions même pas les retombées de renommée comme un auteur.
De mon point de vue, la licence CC BY est une licence bâtarde entre un développement sous contrôle, propriétaire et le développement organique libre et inappropriable que permet le copyleft. Je la trouve bien utile lorsqu’il s’agit de partager des pratiques ou des modèles (nous l’utilisons par exemple pour notre notice print@home). Mais elle me semble complètement inappropriée pour du contenu artistique pouvant faire l’objet d’une commercialisation et ayant nécessité un investissement important, humain et/ou financier.
Les Licences Art Libre et Creative Commons BY-SA
C’est donc tout naturellement et de manière très pragmatique que nous avons choisi une licence intégrant le copyleft. Tout d’abord, elle prévient l’utilisation parasite, car toute adaptation peut être récupérée par l’éditeur et l’auteur. De plus, la Licence Art Libre et CC BY-SA ont l’avantage d’imposer des règles standards dans l’exploitation de l’œuvre, ainsi il est très facile de savoir quelles sont les conditions de réutilisation des adaptations. Clairement, l’énorme avantage de ces licences, c’est que tous les contributeurs et les versions soient «à la même enseigne». D’ailleurs, c’est une excellente chose que ces deux licences aient fait un effort de compatibilité.
En réalité, je pense que ces licences copyleft permettent le maximum de collaboration de deux manières. Tout d’abord, tout un chacun peut s’approprier l’œuvre dans son coin sans demander à personne et en ayant toutes les garanties de pouvoir exploiter son travail d’adaptation. Mais d’autre part, le fait de ne pas pouvoir imposer un copyright sur une adaptation incite à collaborer avec les acteurs qui ont la légitimité publique de faire concurrence : l’éditeur et l’auteur originaux. Ainsi, je pense que c’est un excellent incitatif à une collaboration saine, d’autant plus que chacun est libre de refuser les conditions de l’autre si elles ne conviennent vraiment pas. Je pense que c’est vraiment ainsi que j’ai toujours aimé travailler et que j’envisage toutes les collaborations futures de PVH éditions.
Lorsque nous savions quel type de licence nous voulions, il nous fallait choisir entre la Licence Art Libre et CC BY-SA. Elles sont complètement compatibles, mais chacune d’elle a ses particularités :
La Licence Art Libre est historiquement la première et est nativement francophone, c’est des choses pour lesquelles je suis sensible. Elle s’inscrit dans la tradition «européenne continentale» du droit d’auteur. Sa formulation est agréable à la lecture, plus philosophique que juridique. Elle porte une vision de l’art qui se rapproche de celle que j’aimerais expérimenter avec PVH éditions.
Le CC BY-SA est plus formel et dans la tradition anglo-saxonne du copyright. Étant plus utilisé, son logo est reconnaissable et reconnu. Il a l’avantage d’avoir des licences sœurs modulables et concrètes. Ce sont ces licences : CC BY et CC BY-NC-SA que PVH éditions avait déjà utilisé par le passé.
Le choix final
Nous n’allons pas laisser durer le suspense plus longtemps (surtout que le logo illustre cet article). Nous ne voulions pas vraiment choisir entre les deux, d’autant plus qu’elles sont compatibles et interchangeables. Nous avons donc envisagé de les prendre les deux, mais ce n’était pas souhaitable : cela pourrait créer la confusion auprès de partenaires qui ne connaissent pas ou mal ces licences. Les premiers d’entre eux sont les auteurs qui doivent déjà signer un contrat d’édition et une licence complète dans les annexes. En ajouter une deuxième aurait été une complication inutile. Nous avons donc choisi la licence CC BY-SA pour sa structure plus formelle, pour son succès et ses sœurs que nous utiliserons certainement encore (notamment CC BY et CC0).
Mais c’est oublier que le texte de la licence est lui-même sous licence libre (CC BY). Nous nous sommes donc dit que nous allions simplement prendre cette liberté pour créer notre propre label Œuvre libérée qui n’est autre qu’un simple copier coller de la licence CC BY-SA. Il s’agit surtout d’une manière de mettre en lumière notre démarche éditoriale et d’avoir une bonne excuse pour mettre côte à côte les deux licences CC BY-SA et Licence Art Libre sur un pied d’égalité. C’était également l’occasion de mettre en évidence la compatibilité entre les deux licences, si semblables et si complémentaires. Administrativement, pour simplifier nos démarches, Œuvre libérée et Licence Art Libre ne seront pas évoquées dans les contrats et dans les partenariats, nous utiliserons seulement le CC BY-SA. Le principe cardinal est : « Laissons s’exprimer la richesse de l’art libre, et cantonnons le pragmatisme à la paperasse ! »