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Le coût d’un livre

Combien ça coûte, de faire un livre?

Prenons les acteurices de la chaîne de production du livre dans l’ordre (un peu schématique) dans lequel iels apparaissent, en prenant comme exemple la publication du Bastion des dégradés, un projet un peu plus coûteux que les autres livres de PVH Éditions car résultat d’un travail d’écriture collective.

Un livre c’est tout d’abord un texte, écrit par un·e auteurice à qui on verse un à-valoir qui d’habitude s’élève à 500 CHF. Le Bastion des dégradés est écrit par cinq personnes, cela se monte donc à 2’500 CHF.

écrire → relire → réécrire → lire

Le texte apporté par le collectif à la maison d’édition est certes de grande qualité, mais on ne le publie pas tel quel. Il nécessite un important travail éditorial dont le coût s’élève approximativement à 12’000 CHF, correspondant à un salaire horaire de 38 CHF pour à peu près 38 jours de travail (à 8 heures de travail par jour). Quatre jours (1’216 CHF) sont consacrés à la lecture éditoriale, une première lecture attentive du livre, au terme de laquelle l’éditeurice peut suggérer à l’auteurice d’en retravailler certaines parties, de réécrire tel passage, de supprimer un chapitre ou à l’inverse de le développer. Une lettre du célèbre éditeur anglais Maxwell Perkins à l’un de ses auteurs (Thomas Wolfe) permet d’entrevoir l’ampleur que peuvent prendre ces suggestions:

Choses à faire immédiatement lors de la première révision

  1. Rendre l’homme riche de la scène d’ouverture plus âgé.
  2. Supprimer les références aux ouvrages précédents et au succès.
  3. Rédiger intégralement et avec les dialogues la scène de la prison et de l’arrestation.
  4. Reprendre le matériau de L’Homme au volant et d’Abraham Jones [des romans précédents] pour les scènes de la première année en ville et de l’université.
  5. Raconter l’histoire d’amour du début à la fin, en décrivant la rencontre avec la femme, etc.
  6. Alterner les scènes de jalousie et de folie avec davantage de dialogues avec la femme.
  7. Reprendre la description du voyage de retour et des scènes de la ville champignon tirées de L’Homme au volant. Tu peux utiliser ces scènes pour introduire celle de la gare. Insister sur le désir de rentrer chez lui, le mal du pays et le malaise, puis développer l’idée que sa ville natale lui est devenue étrangère et qu’il ne peut plus y vivre.
  8. Fin possible du livre avec le retour en ville, les scènes de l’homme à la fenêtre, « certaines choses ne changent jamais. »
  9. Dans la scène nocturne qui précède celle de la gare, écrire intégralement avec tous les dialogues les épisodes de la nuit, y compris la mort dans le métro.
  10. Supprimer la référence à sa fille.
  11. Compléter toutes les scènes avec des dialogues, partout où c’est possible.
  12. Développer davantage les scènes de souvenirs d’enfance avec davantage d’anecdotes et de dialogues1.

(Dans le cas du Bastion des dégradés, ce n’est pas dans une lettre mais lors de séances avec les auteurices qu’il leur a été demandé, entre autres choses, de modifier certaines parties de l’intrigue, de résoudre plusieurs soucis de cohérence.)

Une fois les modifications apportées par l’auteurice, l’éditeurice lit une nouvelle fois le texte, portant cette fois son attention sur le style. Cette lecture stylistique lui prendra environ 6 jours (1’824 CHF), puis il y aura encore 6 jours de mise en page par un·e graphiste, et 4 jours de relecture sur maquette. Le travail de l’éditeurice ne s’arrête pas à relire et améliorer le texte: il est fait aussi de nombreuses tâches administratives (4 jours), permettant entre autres choses de recruter ou coordonner les différentes personnes (contrats, devis), de recherches de fonds (6 jours) qui permettront au livre d’être réalisé, puis, après la sortie du livre, d’un travail de promotion destiné à rendre le livre et son auteurice visibles sur la scène littéraire (8 jours, 2’432 CHF): flyers, services presses, contact avec les médias, etc.

du texte au livre : illustrer, imprimer

Les livres de PVH éditions, ce ne sont pas seulement des textes, ce sont aussi des couvertures soignées, chaque fois conçue autour d’une illustration originale spécifiquement dessinée pour le livre qu’elle recouvre par un·e illustrateurice. Dans le cas du Bastion, il s’agit de John Howe, dont la renommée justifie le coût plus élevé que d’habitude: 1’000 CHF, quand d’ordinaire, avec des jeunes illustrateurices, on tourne plutôt autour des 400 CHF.

Toutes les sommes mentionnées jusqu’à présent sont indépendantes du nombre d'ouvrages imprimés: à ce stade, il n’y a en fait pas encore de livre du tout, et 15’500 CHF ont déjà été nécessaires.

Le coût de l’impression dépend évidemment du nombre d’exemplaires tirés. Pour Le Bastion, qui est imprimé à 2’000 exemplaires avec un carton de couverture iridescent, le coût se monte à 7’500 CHF. Le coût total passe donc à 23’000 CHF. Jusqu’à 200 exemplaires imprimés (10%) peuvent être utilisés pour la promotion. Sur les 1’800 exemplaires restants, on estime les ventes à 1’000 exemplaires, pour un total de 12’000 CHF: Le Bastion est vendu 24 CHF, mais la maison d’édition ne touche généralement que 50% du prix (en suisse, plutôt 42.5%). On est donc très largement en dessous des 23’000 CHF nécessaires à la réalisation du livre: des subventions sont donc nécessaires, qui se montent, pour Le Bastion, à 11’000 CHF.

pas tant que ça

Dominiq Jenvrey remarque dans sa Théorie du fictionnaire que la littérature était la plus économique et la plus efficace des manières de faire de la fiction, « parce que fabriquer de la littérature demande des moyens financiers et technologiques dérisoires, juste du temps. La littérature requiert des moyens de production légers. Ce qui fait sa force2. » Les 23’000 CHF nécessaires à la réalisation du Bastion représentent en effet une somme minuscule si on la compare aux 165 millions de dollars américains nécessaires à l’adaptation au cinéma de Dune par Denis Villeneuve, pour laquelle des centaines de personnes ont dû être mobilisées (des milliers si l’on compte les figurant·es). Quand on achète un livre, surtout en Suisse, on peut d’ailleurs parfois juger son prix élevé en regard de sa simplicité matérielle: du texte en noir sur blanc, sur du papier souvent recyclé. J’espère qu’après ce court article on aura une meilleure idée de ce qu’on paie vraiment: pas seulement une histoire, des fibres végétales et de la colle, mais la rémunération correcte du travail long et attentif des personnes qui nous permettent de la lire.

Thibault, stagiaire chez PVH éditions

 


  1. Maxwell Perkins, cité par Stillinger, Jack, Multiple Authorship and the Myth of Solitary Genius, New York, Oxford University Press, 1991, p. 146.↩︎

  2. Jenvrey, Dominiq, Théorie du fictionnaire, Paris, Questions Théoriques, « Forbidden Beach », 2011.↩︎

 

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